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Parasites #1
Connaître

Une étude "Métiers Vivants"

Récit et photographie | Partenaire de recherche Scierie Barbier, ONF, avec les données de la DRAAF BFC & Fibois BFC

2024

Crédit photos : 

Jules Levasseur

J'habite et je travaille entre le Morvan et le Châtillonnais. La nature qui m'entoure est artificielle, malgré les paysages pittoresques qu'elle dessine. Cela doit faire des siècles qu'elle est régie par les activités humaines, pour les besoins économiques, énergétiques et industriels locaux. 
Aujourd'hui pourtant, les équilibres naturels sont chamboulés, c'est visible. Travestie du masque de l'authenticité, la forêt présente certainement les enjeux contemporains les plus délicats. Elle diffère des autres activités "d'exploitation" de la nature de deux manières. La première, sa considération induite comme bien commun pour son rôle multiple dans la préservation des systèmes naturels, à l'échelle planétaire comme à l'échelle locale. La seconde porte sur l'ensemble des préjudices qu'elle subit et la manière dont nous dépendons de son propre équilibre. Elle est à la croisée de nombreux intérêts qui divergent et nous rassemblent. 

"Parasites" est une étude sur l'altération multifactorielle de nos forêts et l'impact que cela induit sur les activités propres à cet environnement. 
Premier chapitre, connaître et comprendre le(s) parasite(s) d'ici. 

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Epiceas scolytés, Saint-Martin de la Mer. 

Le récit commence entre Saulieu et Bibracte, sur la route D980. Une route magnifique qui traverse de la forêt et de nombreuses cultures de conifères. À quelques kilomètres du départ, des parcelles abîmées sont clairement visibles. Les symptômes aussi: quelques restes d'épicéas blancs, élancés sur plusieurs mètres, vides de toute aiguille, secs. De part et d'autre, d'importantes percées dans la forêt, de larges éclaircies horizontales. Un peu partout, de désolantes compositions de fractures, de bois rongé, de déconstruction matérielle et paysagère.

On connaissait le Morvan pour ses monocultures dédiées à la production intensive de Douglas, de pin et d'épicéas. Le développement des Nordmann pour les arbres de Noël est une activité bien connue de ce territoire qui peut ressembler à la première. Depuis quelques années, le développement des parasites, notamment des scolytes, ravage de nombreux territoires forestiers. Sur les grandes lignes, le réchauffement climatique conforte certains insectes sur de nouveaux territoires, l'introduction dans un environnement inadapté de certaines espèces d'arbres (choisis pour leur fort rendement) déstabilise les individus et, enfin, le choix de la monoculture intensive fragilise les défenses des parcelles et des écosystèmes. Dans le Parc Naturel Régional du Morvan, cela se traduit par des perspectives déconstruites. Ces perspectives appartiennent à tous, elles sont pourtant régies par l'appréciation des propriétaires qui, pour la plupart, délèguent la gestion de leur parcelle aux coopératives sylvicoles ou aux professionnels de la gestion forestière.  

Parcourir cette route était l'occasion de rejoindre Bibracte, site remarquable, qui recense aux alentours une concentration de parcelles infectées et traitées. La solution qui semble la plus communément appliquée le long du trajet est la coupe rase, assainir en coupant l'ensemble de la parcelle, sauver le cubage pouvant être vendu et replanter. On distingue alors clairement les nouveaux plants, des monocultures de conifères pour la plupart qui viennent remplacer les anciennes. Le choix de certains propriétaires de favoriser la culture de sapin de noël pour ce nouveau contexte devient compréhensible, puisque le marché est différent, les arbres sont perçus comme matures plus rapidement et des dérogations sur l'utilisation de certains traitements empêchent les parasites de s'implanter.

Parcourir cette route a été l'occasion de me plonger dans une forêt commerciale, constituée pour la plupart de parcelle privées (85% des parcelles du Morvan) et de m'approcher des arbres pour mieux comprendre ce qu'ils racontent. Les paysages sont évocateurs. Les contrastes sont présents partout, de tous les points de vue, quelque soit le village, la route ou la lumière. 

Le projet, lui, commence au contact de la scierie Barbier (Vilaines-en-Duesmois, Châtillonnais) avec laquelle je collabore pour certains projets d'expérimentations sur le bois. À la question "Quel est votre problématique métier actuelle", Jacques Barbier m'évoque ces altérations esthétiques ou mécaniques de la matière première, le bois massif, participant à sa forte dévaluation. En cause, les parasites, scolytes, champignons ou aléas climatiques qui détériorent la matière noble, altérant ses qualités visuelles et réduisant ses marchés. 


 

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Vues et détails de la parcelle infectée, Saint-Martin de la Mer. 

On distingue une coupe rase en arrière plan, des écorces gravées par les scolytes, un arbre affaibli cassé et couché. 

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Sur la D980, paysage paisible. Des pâturages laissent entrevoir un abattage parcellaire. 

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Bibracte et alentours.
Coupes rases et plantations monospécifique. 

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Une coupe rase active. 
Une plantation de conifères.
Route D980. 

À la différence du Parc Naturel Régional du Morvan, le Châtillonnais et le Parc National des Forêt sont constitués à 85% de forêts publiques, communales, départementales ou régionales. 
Rencontre avec Frédéric M. référent à l'ONF dans le châtillonnais, pour une visite des parcelles traitées par l'institution au service des collectivités.
Une occasion de mieux comprendre les causes et les conséquences des observations relevées le long de la R980 et de m'approcher de la matière comme lorsque je la travaille. 

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L'aridité, premier facteur de la dégradation du vivant.

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Hêtre mort, totem.
 

Nous regardons aujourd'hui les phénomènes qui impactent la stabilité de la forêt que nous héritons de nos ancêtres. Cette forêt est plurielle, elle est l'assemblage de plusieurs conceptions sylvicoles. Si la sécheresse peut être perçue comme un parasite, ce dernier a la particularité de toucher toutes les espèces d'arbres, quelque soit leur niveau de croissance ou leur lieu de vie. 

Concomitante avec la hausse des températures globales, la sécheresse est le premier facteur de déstabilisation des défenses de l'arbre, le rendant plus vulnérable. Elle pose un enjeu de durabilité pour les cultures mais n'impacte pas la ressource transformée par des altérations visuelles ou mécaniques, à la différence des bois parasités. Elle détériore par contre la longévité des cultures et donc le rendement global des forêts. 

 

Avant d'entrer sur la parcelle, l'oeil du forestier s'arrête sur quelques chênes qui permettent de prendre conscience de la détérioration de l'arbre. 

Un arbre sain continuera à faire des ramifications de manière homogène. 

Un arbre ayant déjà subit quelques saisons de stress hydrique atténuera ses ramifications, laissant apparaître quelques branches mortes. Le processus est enclenché.

Quelques mois plus tard, généralement, les ramifications s'arrêtent et ne restent que les branches principales, qui tomberont sous l'effet du vent ou des agents de l'ONF. 

Ainsi naissent les "Totems", ces troncs morts laissés sur place pour permettre à la biodiversité de se développer. 

 

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3 chênes.
Les différentes étapes de la mort d'un arbre pour cause de sécheresse. 

Le langage des métiers forestiers, des signes universels méconnus vulgarisant le savoir des observateurs. 

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Coup de marteau forestier
 

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Arbre préservé pour la biodiversité.
Les arbres siglés triangle bleu pointé vers la bas sont géoréférencés par l'ONF inscrivant les raisons de leur classement. 

 

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Cloisonnement sylvicole
Passage pour les engins sylvicoles, pour préserver la microporosité du sol dans l'interbande. 

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Arbre coupé pour le bois de chauffage
Les arbres siglés d'un rond orange sont destinés au bois de chauffage ou pour la pâte à papier, les bûcherons les débiteront en tronçons de 2m.

 

Coup de Marteau Forestier
Un coup sur le tronc, un coup sur la souche. Marqué AF, cet outil exclusivement réservé à l'ONF permet de vérifier si les arbres abattus ne l'ont pas été clandestinement. 

 

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Bord de parcelle communale
Un trait horizontal orange signe le début d'une parcelle communale.

 

Numéro de parcelle
Nombre rouge sur fond blanc désigne le numéro de la parcelle communale.

 

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Propagation des parasites, signes et mécanismes de développement.

Scolyte mort.
 

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Le stress hydrique, l'appel à l'aide

"L'histoire d'un arbre comme celui là, c'est un arbre qui est stressé parce qu'il n'a pas assez d'eau. Il développe donc des terpènes et autres volatiles pour prévenir ses collègues de sa situation. Les insectes, et notamment les scolytes, ont la capacité de capter ces volatiles et vont donc remonter les flux pour se rapprocher au plus dense de ces volatiles. Il vont piquer l'arbre pour traverser l'écorce, grâce à des trous de 2 à 3mm de diamètre."

 

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Les larmes de résine

"La première réaction de l'arbre est de produire de la résine pour se défendre. Elle permettra d'engluer les insectes et de les empêcher de se loger sous l'écorce. Mais comme l'arbre est affaiblit puisqu'il manque d'eau, ses ressources sont limitées et les insectes passent. Les écoulements de résine sont un signe de l'invasion du parasite. Elle est d'abord blanche, le houppier reste alors bien vert. L'arbre commence à perdre ses épines, la résine deviendra jaune avec le temps." 

 

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Le précieux cambium

"Les scolytes vont se nourrir du cambium, cette partie de l'arbre entre l'écorce et l'aubier. C'est une partie filandreuse, tendre, presque mousseuse. Ils vont se servir de cette matière pour faire maturer les larves, en faisant un amas de fibres. L'arbre continue de dépérir, il peut encore conserver quelques aiguilles, notamment parce qu'une aiguille vit environ deux ans. Il est fréquent d'avoir un arbre mort avec encore un houppier vert, mais clairsemé."

 

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Le Mycelium 

"Dernière étape de la dégradation du bois, l'arbre mort capte l'humidité et des moisissures apparaissent. Le mycelium se propage sous l'écorce, contre le duramen. Ce champignon mange le bois mort, il fait des rhizomes blancs et fins, puis noirs et solides."

 

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Les prédateurs

"Enfin, l'apparition des prédateurs qui viennent creuser le bois pour chasser les insectes. Les Pics notamment viennent frapper le tronc pour décoller l'écorce où logent les scolytes. Ils vont chercher à ouvrir de plus en plus large, ce qui donne à la fin une forme oblong comme celle-ci. Nous avons noté la réintroduction du Pic Noir dans le châtillonnais grâce aux scolytes. Dans le cadre nos gestions de parcelles infectées, nous cherchons à préserver quelque arbres scolytés, sous contrôle, pour garder le prédateur avec nous". 

 

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Pourriture blanche, pourriture rouge cubique

Chêne pourri.
 

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Le champignon

"Les pourritures récurrentes (blanche et rouge cubique) sont des champignons qui pénètrent le bois par une blessure ou par les racines. Elles se propagent et déstructurent le bois de différentes manières, du coeur vers l'aubier. La pourriture blanche rentre par les parties basses et ramolli le bois comme de la mousse. Le champignon rouge cubique déstructure le bois de manière cubique, dans le sens des fibres mais également perpendiculairement aux fibres. Elle touche principalement le chêne, lui donnant une couleur rouge sombre. Ce champignon peut se réactiver lorsqu'il est en contact avec de l'humidité, même après plusieurs années de séchage." 

 

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L'altération bleue

"Très répandue de nos jours sur les pin et les épicéas, l'appariation de champignons qui vont altérer la matière visuellement en assombrissant les fibres. Ce phénomène pénètre à coeur le bois. Il est principalement dû aux nouvelles conditions environnementales qui favorisent le développement des champignons, à savoir des ambiances chaudes et humides lors des activités forestières. Ce pin a été coupé en septembre, il a beaucoup plus et il faisait chaud, le champignon s'est donc développé rapidement au niveau des coupes de tronçonnage, mais également au niveau des noeuds coupés." 

 

"La problématique métier, c'est de permettre de définir des nouvelles applications et des nouvelles valeurs à notre ressource qui tend à se détériorer. Les donneurs d'ordre doivent valoriser nos bois locaux à travers  leurs singularités et non plus exiger une qualité déterminée qui se raréfie."

Jaques Barbier, scieur.

Les professionnels ne le cachent plus, les bois parasités sont de plus en plus présents en terme de volume, impactant la forêt et l'économie de la transformation du bois. Les parasites ont des codes, ils nous renvoient, en un sens, à notre propre rapport à la ressource et au vivant. Il faudra faire avec, faire contre ou faire pour. Ils nous obligent à considérer l'écosystème complexe de la forêt dans notre relation avec la matière bois transformée, de ses qualités à ses applications. 

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